DOSSIER. Ingérences étrangères : la prise de conscience de la France

Publié le , mis à jour

l'essentiel L’enquête sur les tags « Mains rouges » à Paris sur le Mémorial de la Shoah semble pointer vers une opération de manipulation attribuée à la Russie. Depuis des mois, la France, qui va accueillir les Jeux olympiques dans deux mois, est une cible pour ces opérations de déstabilisation et des cyberattaques. Mais une prise de conscience est là en France comme en Europe.

L’affaire des tags « Mains rouges » peintes sur le Mémorial de la Shoah à Paris va-t-elle constituer un tournant : celui d’une réelle prise de conscience de l’opinion face aux ingérences étrangères qui veulent miner notre démocratie, entre opérations de déstabilisation « classiques » et cyberattaques de plus en plus sophistiquées et intenses, voire un mix des deux ?

Les mains rouges et les étoiles bleues

En tout cas l’affaire – qui a dans un premier temps légitimement choqué dans le climat de hausse des propos et actes antisémites – a échoué à diviser les Français. C’est que ces derniers avaient de quoi se méfier en se rappelant l’affaire des étoiles de David, peintes au pochoir sur des façades d’immeubles à Paris et en banlieue en octobre dernier. Dans un document confidentiel, révélé le 23 février par Le Monde, la DGSI assure que cette opération a été pilotée par le « cinquième département », un service chargé des opérations internationales au FSB, les services secrets russes. Cette campagne de désinformation en France était un volet d’une opération d’ingérence plus vaste menée dans plusieurs pays européens et commencée au printemps 2023 en Pologne. Des Moldaves, pilotés à distance par le FSB, y avaient mené des actions de désinformation, de surveillance et de sabotage.

A lire aussi : DECRYPTAGE. Ingérence et désinformation de la Russie : "La guerre hybride, on pense qu’elle est loin mais elle est sous notre nez"

La similarité des 35 tags représentant des mains rouges peintes dans la nuit du 13 au 14 mai – un symbole qui renvoie au massacre à mains nues de Yosef Avrahami et Vadim Norznich le 12 octobre 2000 par des Palestiniens de Ramallah – avec les étoiles de David suscite immédiatement la prudence et le doute. Les enquêteurs creusent actuellement la piste de trois suspects, arrivés de Bulgarie et repartis vers la Belgique.

Dans les deux cas : l’action d’agents sur le territoire national pour amorcer la pompe puis la tentative d’en amplifier la portée sur les réseaux sociaux, avec l’idée d’attiser les clivages dans les pays occidentaux ; une technique rodée des campagnes d’ingérence, comme l’a dénoncé lui-même le ministre des Affaires étrangères français, Stéphane Séjourné.

L’opération n’a pas fonctionné comme prévu

« C’est le même mode opératoire : des gens recrutés dans un pays européen où le FSB est connu pour opérer (la Moldavie et la Bulgarie, ndlr). Pour les étoiles, on sait qu’il y avait eu coordination entre les deux services, le FSB qui a recruté les Moldaves, et le renseignement militaire qui gère […] Döppelganger » (« Sosie » en allemand), opération de désinformation au long cours attribuée à la Russie, relève pour le chercheur David Colon, auteur de « La guerre de l’information » (La Dépêche du 1er octobre 2023).

Dans le cas des mains rouges, comme l’a souligné sur X le collectif @antibot4navalny, qui traque les ingérences possiblement liées au Kremlin, des comptes liés à Döppelganger ont exploité l’incident, relayant des commentaires accusant Emmanuel Macron d’inaction face à l’antisémitisme. La sous-traitance de la phase physique est d’autant plus nécessaire que « la capacité d’action des Russes en France a été dégradée par les expulsions (massives de diplomates depuis l’invasion de l’Ukraine, ndlr). Il est probable qu’ils ont conservé des réseaux clandestins, mais qu’ils ne veulent pas les griller pour ce genre d’opération » à bas coûts, explique une source sécuritaire française sous couvert d’anonymat.

L’opération « Mains rouge » n’a toutefois « pas vraiment fonctionné parce que les gens ont été beaucoup plus prudents dans leurs commentaires, instruits justement par l’exemple des étoiles ». David Colon y voit aussi un effet de la stratégie française incarnée par Viginum, la jeune agence anti-ingérence qui permet une politique de « dévoilement rapide » des opérations, un changement de pied bienvenue de la stratégie française.

La France, cible de choix

Car la France, qui accueille cette année les Jeux olympiques et dont le président a musclé son discours contre Vladimir Poutine, est devenue une cible pour les opérations de déstabilisation et des cyberattaques, on se rappelle du piratage de la campagne d’Emmanuel Macron (les MacronLeaks) en 2017, de l’activité des médias d’État russes RT France et Sputnik, des opérations d’influence de la Russie en Afrique contre la France ou plus récemment de l’Azerbaïdjan en Nouvelle-Calédonie ; sans oublier les cyberattaques d’organismes ou d’hôpitaux.

« Dans un contexte géopolitique tendu, l’ANSSI a constaté de nouvelles opérations de déstabilisation visant principalement à promouvoir un discours politique, à entraver l’accès à des contenus en ligne ou à porter atteinte à l’image d’une organisation », indique l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information dans son Panorama 2023 de la cybermenace. « L’année 2023 a montré des évolutions notables dans la structure et les méthodes des attaquants. Ces derniers perfectionnent leurs techniques afin d’éviter d’être détectés et suivis, voire identifiés. Il apparaît notamment que des modes opératoires cybercriminels pourraient être instrumentalisés par des acteurs étatiques pour conduire des opérations d’espionnage », notait le rapport.

« L’un des grands enseignements de ce Panorama de la cybermenace 2023 est qu’il n’est désormais plus possible de prendre du retard en matière de cybersécurité, face à des attaquants de plus en plus persévérants », estimait Vincent Strubel, le patron de l’ANSSI.

Voir les commentaires
Sur le même sujet
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (6)
Macool Il y a 21 jours Le 27/05/2024 à 06:53

Ingérences de quoi? Les français sont moqués et mis au ban depuis des années, les français sont pris pour des clowns depuis fort longtemps dans cette décharge de pays en ruine.... Les français auront eux même détruits leur pays qui était riche autrefois et en un temps record, un véritable cas d'école.... Les français n'ont besoin de personne pour se saborder eux même, ce pays est lamentable, une véritable berezina et sur tous les sujets....

occitandusud Il y a 22 jours Le 26/05/2024 à 17:11

En matière d'ingérence étrangère le palmarès le plus grand revient aux USA. En un siècle, entre 1920 et 2020, l'on compte des dizaines d'interventions armées (Nicaragua, Dominicaine, Grenade) et de coups d'État en Amérique Latine. Le dictatures militaires en Argentine, au Brésil, au Chili, en Uruguay, ont été installées et soutenues para les américains. Plus écemment il y a eu des coups d'État fourrés en Equateur et en Bolivie, ce dernier financé par Elon Musk.

villemache11 Il y a 22 jours Le 26/05/2024 à 15:43

N'y a t'il vraiment que de l'ingérence étrangère Rien de l'intérieur ? Étrange tellement on a l'habitude d'entendre tant de critique , se cacher derrière l'étranger ne serait pas trop surprenant pour tenter de déstabiliser le pays...