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Dictionnaire de théologie catholique/HUMILITÉ

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.1 : HOBBES - IMMUNITÉSp. 168-172).


HUMILITÉ. — I. Notion. II. Divisions. III. Nécessité. IV. Motifs.

I. Notion.

La signiflcation étymologique du terme humililé nous ramène à la pensée de notre origine terrestre. Humilitns dicitur ab humo, disaient les anciens. L’homme, issu de la terre, vivant et s’appuj’ant sur elle, est destiné à retourner en son sein ; aussi, en pratiquant l’humilité, il se trouve dans la vérité de la situation qui lui appartient.

De ces considérations se déduit la défmition de cette vertu, d’après les éléments fournis par saint Thomas, Sum. theol., II IIæ, q. clxi, a. 1 sq. : Humilitas est sirtus qua quis, considerans suum dejcclum, tenet se in inflmis, secundum modum suum.

1° Il résulte de là que l’homme, déprimé parla violence extérieure, regimbant contre cet abaissement, ne pratique pas la vertu d’humilité, mais subit une contrainte contre laquelle il proteste. Celui-là seul observe l’humilité chrétienne, méritoire, qui, considérant sa misère, son impuissance, s’abaisse spontanément, et s’interdit toute aspiration présomptueuse opposée à la raison. Un exemple frappant de cet état d’esprit est fourni par la Vierge Marie, en son cantique : Quia rcspexil humilitatem ancillæ suiæ. Luc, i, 48.

2° On a opposé quelquefois la magnanimité à l’humilité, en disant que ces deux vertus se confondaient, faisaient double emploi. C’est une inexactitude.

La magnanimité est une vertu qui nous fait aspirer à l’accomplissement des œuvres sublimes, aux grandes destinées que Dieu nous réserve, selon les règles fournies par la raison. L’objet direct de la magnanimité est donc de nous orienter vers les actions d’éclat. Indirectement toutefois, cette vertu refrène cet élan et le ramène aux limites rationnelles. L’humilité, au contraire, calme, assagit prcmiârement l’essor de l’àme vers les actes supérieurs, en faisant valoir la situation inférieure que l’homme occupe : elle signale la disproportion existant cnlre l’homme et l’excès d’honneur qu’il convoite. Selon les régies de la théologie morale, les vertus se distinguent entre elles, d’après leurs fonctions premières. Ainsi, les deux vertus de magnanimité et d’humilité sont classées dans la catégorie de la tempérance, à raison de leur caractère commun de modérateurs rationnels ; mais elles conservent leur physionomie distincte, pour le motif indiqué.

3° Bien que le rôle principal de la vertu d’humilité consiste à réprimer les aspirations exagérées de l’àme, cependant l’analyse psychologique révèle, dans son concept, un autre élément secondaire : c’est la puissance d’appréciation, qui fait saisir à l’intelligence le peu de convenance du but trop élevé avcugKmenl poursuivi. C’est sur cette connaissance que s’appuie l’humilité, pour imposer un frein aux appétits tumultueux de l’ambition. La vertu ainsi éclairée ex’^rce son action directe sur les facultés, les empêchant de s’égarer : comme le dit excellemment l’ange de l’École : Coqniiio proprii dejecius periinel ad humilitatem, sicut régula quædam dircctiva appetilus. Loc. cit.

4° L’humilité consiste à maintenir l’homme dans le sentiment et la conscience de son infériorité, selon la mesure raisonnable, secundum modum suum. Or, l’homme, en s’examinant, doit envisager deux points de vue. Il doit considérer en sa personne ce qui vient de Dieu et ce qui émane de lui personnellement. Tous les avantages lui arrivent de Dieu ; tous les défauts ont leur source dans son fond personnel. De là découlent les conséquences suivantes, qui caractéri’^ent la véritable humilité.

Tout homme, se considérant lui-même et ce qu’il est, doit s’incliner devant le prochain lorsqu’il envisage en lui les œuvres ou les dons de Dieu. La raison en est manifeste pour tout chrétien. Néanmoins les exigences de cette vertu ne sont pas telles qu’on doive rabaisser, devant les avantages procurés par Dieu au prochain, ceux qu’on aurait reçus soi-même par cette voie. Il en est de même des dons naturels que l’on possède ou que l’on a su développer en soi. Rien n’exige qu’on les déprécie, en les comparant aux qualités également naturelles d’autrui. Il n’est pas requis, en effet, de se considérer toujours comme plus grand pécheur que les autres. Voilà comment l’apôtre a pu dire, sans porter atteinte à la vertu d’humilité : Nos naiura Judsei d non ex gentibus peccatores. Gal., ii, 15.

Cependant, même à ce point de vue, les saints ont trouvé le moyen de se rabaisser devant le prochain. Ils savaient se convaincre que les dons de Dieu étaient supérieurs en lui à ceux qu’ils avaient reçus eux-mêmes ; ou bien, qu’ils avaient des défauts dont les autres étaient exempts. Ils appliquaient ainsi le précepte promulgué par saint Pierre : Subjecti estole omni creaturæ propler Dcum. I Pet., ii, 13.

Ils pratiquaient des actes intérieurs d’humilité, dont Dieu était le témoin et l’appréciateur. Les hommes n’en pouvaient taxer la manifestation extérieure ni d’hypocrisie, ni de fausseté. Toutefois, un supérieur, obligé par ses fonctions de diriger ses subordonnés, ne saurait par des actes publics d’humilité excessive compromettre son autorité. Ce serait un acte condamnable, selon la parole de saint Augustin : Apud eas quas oportct esse subjectas, dum nimia servatur liuniililas, regendi jrangatur auctorilus. Régula ou Epist., ccxi, n. 14, P. L., t. xxxiii, col. 964.

5° Quel rang occupe l’humilité parmi les vertus chrétiennes ? Les vertus théologales, foi, espérance et charité, occupent le premier rang, à raison de la dignité de leur objet, qui est Dieu lui-même, directement envisagé.

Les vertus « intellectuelles » qui règlent les actions humaines vers la fin dernière, se classent au second rang. Ainsi, la sagesse scrute les causes les plus élevées des choses ; l’intelligence perçoit les premiers principes ; la science déduit les conséquences qui découlent de ces principes ; la prudence règle les actes humains, conformément au dictamen de la raison. Toutes ces vertus dirigent l’homme vers sa fin dernière, soit directement, soit indirectement.

La vertu morale de justice organise aussi, d’une façon générale, les actes de l’homme envers son prochain. Elle lui fait rendre aux autres en toute circonstance ce qui leur est dû.

La vertu d’humilité prend place à la suite, précédant les autres vertus de force et de prudence. Elle occupe cette place, parce que les vertus plus élevée, dirigent la raison de l’homme vers la fin dernière, tantôt directement, tantôt indirectement. Mais elle précède les suivantes, parce qu’elle refrène l’orgueil d’une façon

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générale, en ses manifestations intérieures ou extérieures, tandis que les autres vertus, ayant leur objet particulier, circonscrit, n’exercent pas une influence aussi complète sur la conduite de l’homme. C’est à raison de son extension morale qu’elle a été appelée le fondement des autres vertus. Non qu’elle soit supérieure aux autres à raison de sa dignité ; mais parce qu’elle dépage le cœur de toute pensée d’orgueil, de toute préoccupation de vanité persoinielle. Ainsi, elle ouvre la voie à l’arlion divine ; elle écarte les obstacles qui s’opposent à l’érection de l’édifice spirituel. C’est en se plaçant dans cet ordre d’idées que doivent s’interpréter les paroles connues de saint Augustin, comparant la vie chrétienne à l’édification d’un grand monument : Cogitas magnam fabricam construcre celsitudinis ? De jundamenlo prius cogita Immilitatis. Serm., Lxix, c. I, n. 2, P. L., t. xxxviii, col. 441.

II. Divisions.

1 " Sur ce point, il existe une grande divergence entre les maîtres de la vie sjjirituelle. Saint Benoît compte douze degrés de la vertu d’humilité. Régula, c. vii, P.L., t. lxvi, col. 371-375. Saint Grégoire le Grand. Moral, in Job, t. XXIII, c. iv, P. L., t. lxxvi, col. 258-299, établit quatre degrés d’humilité, qu’il oppose aux quatre degrés de l’orgueil. Saint Thomas, dans sa Somme théologique, IP IP’, q. clxii, a— 4, justil e la division de saint Benoît. Saint Bernard à son tour adopte le nombre de douze, dans son traité spécial des degrés de l’humilité, P.L., t. cxxxii, col. 943 sq. Saint Anselm" noml>rc /rof.s degrés. Fp st., lxxv, I’. L., t. ci.iy, col. 112. Mais Eadmer, ex osant les idéss de faint Anselme, compte sept degrés. Liber de S. Anselmi similitudinibus, c. lx sq., ibid., col. G65 sq. Saint Ignace compte seulement trois degrcs de la vertu d’humilité : le premier consiste à se soumettre au Seigneur ; le second écarte toute faute vénielle et toute convoitise des biens terrestres ; le troisième consiste en ce que l’homme humble, par amour de Dieu, choisit la pauvreté et le mépris de tous les avantages du monde. Exerciiia spiritualia, médit, ivæ diei M* hebd., p. m.

2>— (.ette opposition des auteurs spirituels n’est qu’apparente. Elle provient des points de vue différents où ils se sont placés. Les uns n’ont envisagé que les caractères essentiels de la vertu d’humilité. Les autres ont voulu, non seulement étudier sa nature intime mais encore énumérer les conséquences qui découK’nt de la praticiui ? de cette vertu.

II arrive ici ce que saint Ambroise, In Luc., t. V, n. 49, P. L., t. XV, col. 1649, signale au sujet de l’opposition de saint Luc et de saint Matthieu dans la recension des béatitudes évangéliques. Le premier n’en proclame que quatre : le second, au contraire, en énumàre huit. Mais, ajoute l’évêque de Milan, ces deux listes s’adaptent dans un ordre rigoureux : les huit béatitudes renferment I>s quatre autres, comme ces quatre contiennent les huit indiquées par saint Mattliieu. II en est de même des divers de « 4rés de l’humihté. En elïet, tous les auteurs cités admettent, sous une forme ou sous une autre, que l’tiumilité refrène l’impétuosité de l’âme vers les actes que la raison signale comme am’iitieux, et que cette répression de la passion est inspirée par le respect de la loi divine. L’accord est complet ju..qu : i-là. La différence des appréciations porte sur l’énumération des actes, des attitudes et de& paroles variées, qui jaillissent des actes internes. Les uns, comme saint Benoît, passent en revue tou’, .es ces conséquences : répression de sa propre volonté, déférence aux directions des supérieurs, courage pour dom)ter 1°S résistances opposées, aveu de son impuissance personnelle, cortscience de son incapacité à atteindre uu but élevé, reconnaissant de la supériorité des autres par rapport à cet objectif supérieur, amour de la position modeste que l’on occupe, répression de la précipitation des juge ments que l’on jiorte, mesure des termvs dont on se sert dans ces appréciations, retenue des regards, modération dans le ton du langage et dans les éclats de la joie trop bruj’ante. Ce sont là les rameaux et les fruits divers d’une même tige. Le même sol fournit la sève qui les multiplie. lui un mot, les écrivains mystiques, partant des mêmes principes, en déduisent des conséquences plus ou moins variées, selon les circonstances où ils se trouvent et les leçons pratiques qu’ils croient devoir donner aux disciples placés sous leur autorité.

La parfaite humilité iiôsséde trois degrés. Au premier, l’homme humble se soumet à son supérieur et ne s’estime pas au-dessus de son égal. Cette mesure est suffisante pour que celui qui la pratique ne viole pas le précepte. Au second degré, l’humble se soumet à son égal, et ne se préfère pas à son inférieur. Ce degré est supérieur au premier, parce qu’on y observe le conseil évangélique. Au troisième degré, l’homme humble arrive à se soumettre même à son inférieur ; il accomplit ainsi toute la justice dont parle l’Esprit-Saint dans l’Écriture.

3° En partant de l’ordre d’idées inspiré par cette dernière considération, les maîtres de la vie spirituelle traitent des huit degrés de l’humilité héroïque, <]u’ils ont signalés d’une façon spéciale.

Le premier degré de cette hiunilité, supérieur aux trois premiers, consiste en ce que l’homme, parvenu déjà à l’union infinie avec Dieu, reconnaît les bienfaits dont le Seigneur l’a comblé : convaincu, d’autre part, de sa bassesse et de son impuissance, il en est tellement pénétré, qu’il désire ardemment qu’on lui attribue à lui-même toutes les défectuosités, toutes les défaillances que l’on constate en lui. Il demande, en outre, qu’on rapporte au Seigneur la gloire de tout le bien qu’il peut posséder et accomplir, et qu’enfin Dieu seul soit loué en sa personne et à son occasion. Cet état est conforme à ces belles paroles de saint Bernard : Magna et rara virtus profecio est, ’cum magna opereris, magnum te nescire. Cum omnibus nota sit sanctitas tua, te solum lateat, cum omnibus mirabilis appareas, tibi soli vilescas. Serm., xiii, in Cantica, P. L.. t. CLXXxiii. col. 837.

Le second acte héroïque d’humilité est de soustraire aux regards, dans la masure possible, tous les dons naturels et surnaturels dont on a été doté par la providence divine.

Le troisième degré de l’humilité héroïque est la patience à supporter les injures, sans un mouvement qui trahisse aucune émotion intérieure ou extérieure. Cet acte est supérieur, en eflet, à celui qui consisterait à décliner les honneurs, à s’abstenir de la vaine gloire.

Au quatrième degré, l’humilité héroïque fait accepter avec joie les avanies qu’on subit. Ce degré dépasse encore l’humilité ordinaire, qui supporte les injures avec patience.

Le cinquième degré héroïque est la provocation du mépris des autres, par la manifestation de ses défauts personnels. Cette pratique est au-dessus de la patience, qui supporte seulement les travers que la malignité du prochain nous attribue à tort. Quelle différence avec cette humilité de parade, purement hypocrite, qui semble se rabaisser en parole, pour s’attirer des éloges ! Est qui nequiter se humiliai et interiora ejus plena sunt dolo. Eccle., xix, 23.

Le sixième degré consiste à se considérer soi-même comme la dernière des créatures. Saint Bernard dit que l’humilité indique à l’homme son néant, en l’éclairant sur sa réelle impuissance, lorscpie, d’après sa signi flcation étymologique, la superbe, superbia, l’excite à s’élever au-dessus des autres.

Dans le septième degré, l’iiomnii s’attribue, à raison de ses péchés, tous les maux, tous les désastres qui se produisent dans le monde. Enfin, le huitième degré est d’ètre absolument insensible aux attraits de la vaine gloire et de l’orgueil. Les âmes qui y parviennent, connaissant à fond leur propre incapacité et leurs fautes quotidiennes, appréciant, d’autre part, les innombrables bienfaits dont Dieu les comble, n’éprouvent aucune incitation de l’orgueil et se plongent, au contraire, dans un océan d’humilité.

Humilité intérieure et extérieure.

Ces deux caractères de l’humilité ont été plus ou moins explicitement indiqués dans les lignes précédentes. Bien souvent les théologiens ou les prédicateurs ne mentionnent guère que ces deux aspects de l’humilité. Saint Thomas, Sum. iheol., II" II-, q. clxi, a. 1, a posé le principe de leur distinction : Humilitas… importât quamdam laudabilem dejcctionem in ima. Hoc autem quandoque solum secundum signa exieriora, secundum fietionem ; unde hoc est falsa humilitas. Quandoque autem fit secundum interiorem motum animœ…, secundum hoc, humilitas proprie ponitur virtus…

1. L’humilité intérieure est donc cette conviction, que l’âme acquiert par la grâce de Dieu, de son propre néant, de ses défauts, et qui règle l’attitude extérieure.

Le premier effet qu’elle produit, c’est la soumission des facultés de l’âme, l’entendement et la volonté, aux préceptes divins. Elle écarte ensuite rappétit déréglé de l’honneur, et fait accepter en toute simplicité les humiliations. Elle apprend encore à l’homme à ne pas mépriser ou dédaigner ses semblables, en raison des défauts personnels qu’il reconnaît en lui-même et aussi par obéissance aux préceptes évangéliques. EUe fait apprécier à leur juste valeur la popularité, les ajiplaudisscments, les louanges. Elle apprend ainsi à se maintenirdansla vérité, carparlesentimentintimedesa faiblesse qu’elle fait naître en nous, elle nous porte à faire le juste départ des biens célestes et de la vanité du monde. Par elle l’homme rapporte à Dieu seul, qui en est l’auteur et le conservateur, tous les avantages de naissance, de titres, de fortune, de santé, de forces, de succès et de prospérité dont il peut être favorisé.

L’attitude générale de l’homme se ressent de l’inlluence de cette vertu intérieure. Le maintien, le regard, la parole, les rapports avec ses semblables, les égards envers les supérieurs, les égaux, les inférieurs manifestent les sentiments intérieurs inspirés au chrétien par la vertu d’humilité.

2. Humilité extérieure.

Si la vertu chrétienne il’huniihté embellit et surnaturalise ainsi les actes de Ihomme, l’humilité purement extérieure, qui n’est pas animée par la vertu intérieure, est stérile et feinte. Elle revêt parfois le caractère de l’orgueil le plus rafliné. La vanité, l’amour-propre en sont la source. Les païens ne connaissaient même pas de nom cette humilité que le Christ a révélée et prescrite à l’humanité. Aussi la résignation qu’ils affectaient parfois était le fruit d’un stoïcisme farouche. Ils pliaient sous les coups d’un falali.sme implacable.

Les philosopiies anciens ont ]uallqué c|uelques autres vertus naturelles, la force, la justice, la tempérance. Mais l’humilité n’en était pas le principe. Ils ne cherchaient que la célébrité, les louanges ; ils étaient donc àl’antipode de l’Iiumilité. On connaît la riposte de Platon à Diogènc. Le cynique, invité chez le grand philosophe, décrocha les tapisseries de la salle à manger, e les foula aux [lieds. Que faites-vous, demanda le maître ? — Je foule aux pieds l’orgueil de Platon, répondit Diogènel — Oui, riposta Platon : mais par un autre genre d’orgueil. Tertullien, Apoloqet., c. xi.vi, P. L.. t. I, col. 511.

Chez les « hrctiens, l’humiUlé aflcctée devient une sorte d’hypocrisie de la vertu.

On refusera la louange, tic crainte de pantitre crédule, naïf, et d en’onrir le ridicule public. Mais au for

intime on se grisera de vanité ; le refus de la flatterie servira de masque à une vanité coupable.

L’homme véritablement humble évite d’attirer l’attention, de parler de sa personne, de ses actions. Celui qui affecte d’être humble provoque par son alïectation même les regards étrangers. S’il paraît blâmer légèrement ses actes, ce n’est que pour attirer la louange.

Il n’y a pas de désappointement comparable à celui qu’éprouve ce faux modeste, lorsqu’on le prend au sérieux dans la critique qu’il s’est adressée ou dans celle qui lui est spontanément formulée. C’est à lui que s’adressent ces paroles de saint Jérôme : Multo (leformior illa est superbia, quæ sub quibusdam humililutis signis lafet. Nescio enim quomodo turpiora suiil l’itia, quæ virtutum specie celuiitur. EpisL. ci, viii, ad Cclanliam, n. 20, P. L., t. xxii, col. 1214. Saint Augustin, de son, côté, stigmatisait cette luniiilitc simulée : SinmUitio hiimilitatis major est superbia. Dr mncta virginilatc, c. xliii, P. L., t. xl, col. 422. Chercher ainsi à exploiter l’humilité, c’est l’anéantir.

Quand on les méprisait, les saints ont souvent répondu : Si l’on nous connaissait à fond, on dirait encore plus de mal de nous. Il faut que Dieu soit bien miséricordieux pour nous supporter.

« Ne parlons jamais de nous en termes d’humilité ; dit saint Erançois de Sales, Introduction à la vie dévoie, c. V, ou conformons nos pensées â nos (laroles. par le sentiment intérieur d’une vraie humilité. Ne baissons jamais les yeux qu’en humiliant nos cœurs ; ne prenons pas la dernière place, à moins que ce ne soit de bon cœur et sincèrement. Je crois cette régie si générale que je n’y fais aucune exception. >

III. Nécessité.

Les déclarations de l’Esprit-Saint dans l’Ancien Testament sont formelles à imposer l’humilité et à en révéler les heureux fruils. Il promet le royaume du ciel à tous ceux qui pratiquent cette vertu, dont le Fils de Dieu lui-même devait donner l’exemple. Humiles spiritu salvabit. Ps. xxxiii, 19. Humilem spiritu suxcipict et gloria. Prov., xxix, 23. Quia humiliati sunt , non disprrdnm eos. II Par., xii, 7. Humilia te in omniJ}us et corum beo inventes graliam. Eccle., III, 20. Et Notre-Seitineur dira avec plus de force encore Quicumque crgo se Inimiliaverit sicut parvulus iste, hic major est in regno avlorum. Malt h., XVIII, 3.

Par contre. Dieu menace de chàlinient dès ici-bas ceux qui ne pratiquent pas l’humilité. Arrogantiam fortium humilinbo. Is., xiii, 11. Gluriosos terne humiliabo. Is., XLV, 2. Arrogantiam et superbiam deteslor. Prov., viii, 13. Dieu a toujours exalté les huml>les et humilié les supérlies. Luc, i. 52..lésus-Christ expose ce principe : Omnifiqui se exaltât humiliabitur et qui.< : humiliât cxaltabitiir. Luc, xiv, 11. II éloigne les orgueilleux du royaulne des cieux : Nisi… efficiamini sicut parvuli, non intrabitis in rcgnuni ca’lorum. Quicumque crgo humiliaverit se sicut parvulus iste, hic est major in regno ca’lorum. Matth., xviii, 3, 1.

Rien donc de plus indispensable au chrétien que la vertu d’humilité, favorisée des plus belles promesses et sanctionnée pur les plus redoutables menaces. Saint Augustin ne craint pas de faire de l’humilité le résumé de la vie chrétienne. Tota christiani religio humililns est.

Dieu est avec raison jaloux de sa gloire. Il est le créateur et le rédempteur de tous les hommes. Or ceux qui ne s’humilient pas devant ces titres, lui dis|)Utent sa souveraineté, qu’il ne peut laisser méconnaître. L’orgueilleux veut s’élever au-dessus de tout. Il prétend être son dieu, rosli-r indéiiendanl <le toute sujétion. Le Seigneur ne j)cul donc agir à son égard comme il agit envers ses humbles serviteurs. A ceux-ci il promet la récompense du riel et la véritable gloire, à ceux-hi, le châtiment et l’humiliation.

L’iiuinililé est la coiitlilioii indisiK-nsable de toutes les autres vertus chrétiennes. La loi est un acte de soumission essentielle à la parole <lu Dieu révélateur. La patience, qui fait supporter toutes les ingratitudes ettoutes les oppositions, est le fruit de l’humilité. La charité, qui pardonne les injures, qui atténue tous les défauts, est encore l’un des effets de cette vertu. L’humilité met à l’abri des vengeances du ciel et attire les miséricordes du Seigneur. La prière humble force les portes du ciel et met en fuite le démon. En un mot. la nécessité de l’humilité est telle que, si elle peut exister sans plusieurs autres vertus, aucune autre ne peut exister sans elle.

L’influence de l’humilité sur l’ensemble de la viiet des actes de l’homme est telle que, dans les temps modernes, on a prétendu qu’elle était nuisible aux initiatives généreuses et qu’elle déprimait les facultés les plus nobles.

L’humilité chrétienne n’est pas cette Inertie mépjrisable qui paralyse l’activité quand il faut agir et réduit au silence lorsqu’il faut parler. Agir ainsi, ce serait pusillanimité. L’humilité consiste essentiellement à connaître sa propre impuissance et la nécessité de recourir à Dieu, et à attribuer à Dieu tout le bien que nous faisons. En conséquence, elle détourne donc l’homme de toutes les bassesses que commettent les ambitieux et les orgueilleux quand ils veulent à tout prix arriver à leurs fins.

Elle préserve encore l’homme de cette soif de louanges, que l’orgueilleux veut apaiser par tout moyen, de ce prurit de vanité qui le disqualifie auprès de ses semblables. Elle l'éloigné enfin de l’habitude odieuse qu’a le vaniteux de dénigrer les actes ou les personnes qui portent ombrage à ses prétentions, aux talents qu’il s’attribue, à la prééminence qu’il veut s’arroger en toutes circonstances. Les mondains euxmêmes trouvent que ces arrogants sont indésirables. Ils fuient leur société et ne cessent de blâmer et de railler leurs prétentions. La vertu d’humilité préserve de ces excès et les corrige. Elle attire les bénédictions du ciel et la considération des hommes.

Aussi, loin de devenir inutiles à la société, les humbles justifient ces paroles de saint Léon : Rien n’est difficile aux humbles. Comptant, non pas sur leur valeur, mais sur l’assistance divine^ ils embrassent de vastes desseins, affrontent les plus graves périls, et ils disent comme l’apôtre : Plus je suis faible, plus je suie fort ! Ils savent que Dieu choisit les ignorants pour confondre les sages et les faibles pour humilier les forts. Concluons par ces considérations de Ludolphe le Chartreux. L’humilité mérite d’abord la grâce de Dieu, comme le dit le Psalmiste : Seigneur, vous faites couler vos eaux dans les vallées formées par les montagnes. Ps. ciii, 13. L’hunrilité mérite l’augmentation de la grâce, pourvu que le chrétien n’aspire pas à plus d'égai’ds par suite des dons reçus, pourvu qu’il soit, au contraire, disposé à subir les abaissements, à les considérer même comme mérités. Enfin, elle est la gardienne de la grâce reçue. Comme la cendre conserve le feu, le bois l’entretient, ainsi les bonnes œuvres alimentent la vertu d’humilité.

IV. Motifs sur lesquels se base l’humilité CHRÉTIENNE. — 1° Le premier et divin motif destiné à stimuler le chrétien à la pratique de l’humilité, c’est le précepte solennel donné par Jésus-Christ : Disciic a me quia mitis sum et Immilis corde. Matth., xi, 20. Le divin Sauveur ne recommande pas de créer des mondes, de guérir les malades, de ressusciter des morts, comme il le fit lui-même ; il exige simplement que nous devenions ses disciples, parce qu’il était luimême doux et humble de cœur.

2° La considération de nous-mêmes doit nous rendre humbles. En nous examinant, nous découvri rons en nous des raisons de nous humilier intérieurement et de pratiquer des actes extérieurs d’humilité. Selon saint Bernard, trois considérations principales fournissent â l’homme les motifs suffisants de s’humilier : Quid fuisli ? Quid es ? Quid eris ?

L Quid fuisti ? Qu'étions-nous avant que la miséricorde de Dieu nous tût appelés à l’existence ? Nous étions néant, et nous pouvions ne jamais sortir du néant. C’est Dieu qui nous a donné l'être avec toutes nos facultés. En naissant, nous étions faibles et Ignorants ; nous dépendions des autres et nous avions tout à apprendre.

2. Quid es ? Le sort de l’homme sur terre dans la suite de son existence, le rôle qu’il doit jouer ici-bas. la fin qui l’attend, sont pour lui des énigmes redoutables, il s’appartient si peu que, comme il est à Dieu par la création, de même il dépend de lui pour la conservation de son être. Il n’a pas été consulté sur l’heure de sa naissance ; il ne le sera pas davantage sur celle de sa mort. Il sait néanmoins que sa vie terrestre doit finir et qu’il doit préparer et mériter son avenir éternel. Mais précisément pour acquérir la vie éternelle, le chrétien doit avoir le sentiment intime de son impuissance. Il est exposé à se tromper sur sa fin et les moyens d’y parvenir, s’il n’ouvre pas les yeux de son intelligence aux lumières de la foi.

Sa force physique est précaire, à la merci d’un accident ; sa santé, sujette à mille variations, guettée qu’elle est par des infirmités de tout genre. La nature matérielle résiste à ses efforts. Il lui arrache sa subsistance à la sueur de son front. Tous les éléments semblent parfois conjurés contre lui. Sa dépendance des créatures inférieures est tangible : tandis que, d’après le plan primitif, il devait les dominer royalement ; il est réduit à arracher au sol qu’il foule de ses pieds les minéraux et les végétaux qui sont indispensables à son existence. Les lois qui président aux transformations de tous ces éléments échappent en partie i ses investigations.

Les animaux domestiques sont pour lui des aides nécessaires à assurer sa subsistance, à son vêtement, à ses travaux. Mais, pour comble d’humiliation, lui, si fier de ses prérogatives, est réduit à se faire le serviteur des animaux qui sont à son usage.

Quant aux autres êtres vivants, les infiniment petits seraient parfois plus redoutables pour lui que les infiniment grands. Les observations scientifiques ont mis au jour leur étourdissante quantité, leur puissance de génération, leur activité destructive. Si une providence paternelle ne surveillait et ne limitait l’action de ces insectes, qui pu>lulent jusque dans les gouttes de rosée, ils extermneraient la terre habitée.

L’homme est tributaire du soleil pour la chaleur vitale et les productions nécessaires à sa nourriture, des eaux pour le maintien de sa santé, de l’air pour le jeu de ses poumons et le renouvellement de son sang.

L’impuissance de l’homme éclate même au milieu des richesses que la miséricorde divine lui assure, au sein même des éléments de prospérité qu’elle lui a donnés. Dieu atout mis à sa disposition avec une prodigalité telle que les païens eux-mêmes appelaient la terre leur mère nourricière ; aliments, remèdes, spectacles qui ravissent l’admiration. Malgré toutes les ressources naturelles mises à sa disposition, l’homme est incapable de les faire fructifier par ses seules forces. Il sème le grain ; si le soleil et la p’uic ne viennent opportunément le vivifier, ce grain meurt au sein de la terre. Il ne peut réussir en rieu si le maître des éléments et des volontés libres ne lui prête son appui. Comment donc peut-il songer à s’enorgueillir au lieu de s’humilier ? Il doit se convaincre qu’il est fini en son être et en ses actes ; qu’il dépend en tout d’un maître souverain ; qu’il est imparfait au point de communiquer cette imperfection h tout ce qui sort de ses mains.

Cette imnuissance naturelle de l’homme est encore plus radicale au point de vue surnaturel, auquel il ne peut rien de lui-même, sans la grâce divine.

3. Quid eris ? — Le problème de sa destinée est pour l’homme le plus angoissant de tous. Il s’agit de l’éternité, heureuse ou malheureuse. L’homme est pécheur et il peut se damner lui-même, tandis qu’il ne peut se sauver sans l’aide de Dieu. Or, Notre-Seigneur a dit de Judas, qui est réprouvé, qui encourt la réprobation, qu’il eût mieux valu pour lui n’avoir pas vu le jour. Matth., XXVI, 2L C’est le sort qui est réservé à l’orgueilleux impénitent et son humiliation sera éternelle.

3° Le souvenir des bontés infinies dont Dieu a comblé l’homme doit encore développer ses sentiments d’humilité. Rien ne peut nous humilier plus, en présence de la miséricorde de Dieu, que la multitude de ses grâces et la multitude de nos péchés en présence de sa justice. S. François de Sales, Introduction à la vie dévole, part. III, c. V.

Ici-bas, très souvent, l’homme reste absolument eiïacé. Il est plutôt inconnu que connu, en dehors d’un voisinage restreint. Loin de jouer un rôle de conseiller dans les grandes affaires, il vit et meurt sans avoir pris part aux événements de son temps. Toutefois cet homme, si effacé aux yeux de ses semblables, a devant Dieu une valeur incommensurable. De toute éternité il a été, de la part de Dieu, l’objet d’une prédilection ineffable. Son existence, sa mission ont été marquées dans la prédestination divine. Il a été destiné à contribuer à promouvoir la gloire du créateur. Bien mieux encore, cet être si abject a été l)ersonnellement compris dans le motif de l’incarnation du Verbe de Dieu. C’est parce que l’iiomme a péché que le Fils de Dieu incarné est mort sur la croix. Et Dieu lui-même sera au ciel la récompense éternelle de l’homme racheté par le sang de son Fils.

S. Thomas, Suin. ilieoL, lia Ilæ, q. clxi ; avec les commentaires de Cajétan, dans l’édition léonine des Œuvres du saint docteur ; Suarez, De virluiibii^ elvitiis, r. X, t. IX, c. y ; Mgr Gay, Ve la vie et des vertus chrétiennes, 10° édit., c. VI ; S. François de Sales, Inlrudiiclion à la vie druole, c. iv-vii ; Philippe de la Sainte-Trinité, Summa mystica, Paris, 1874, t. iii, part. III, a. 3 ; S. Alphonse Rodrisuez. Pratique de la perfection chrétienne, trad. de l’abbé r.rouzet, Paris, 1879, t. m ; P. Fabcr, La créature et le créateur, Paris, c. ii, m ; De imitatione Cltristi, t. I, c. iiiiv ix-xxii ; l. II, c. ii ; l. III, c. iii, iv, viii, xiii, xix, xx, xl-Lvi ; Formation à l’humilité, 5e édit., in-32, Paris, 1904 ; Et. Hugueny, Humilité, dans le Dictionnaire apologétique de la loi catholique, (dit. il’Alès, Paris, 1912, t. ii, col. 519-528.

B. Dolhagaray.