Trafic de drogue : centres d’appels, livraison à domicile, féminisation… comment les filières françaises se sont modernisées
Utilisation de messageries cryptées ou de "call-center" (centres d’appels), livraison à domicile, promotions et féminisation… Pour maximiser leur efficacité, les trafiquants de drogue n’hésitent plus à adapter leurs méthodes.
"Petit rappel les gars, quand vous attendez le livreur, soyez discrets !" Le message, posté sur une application de messagerie cryptée, semble susciter des réactions. Dans ce canal privé, accessible uniquement sur recommandation, des trafiquants de drogue communiquent directement et sans détour avec leurs clients, leur présentant le "menu" du jour et la disponibilité des livreurs. Certains vont jusqu’à publier des offres d’emploi, mentionnant un "salaire fixe" et la "possibilité d’horaires aménagés".
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Lunaire ? Pas tant que ça : en une décennie, le trafic de drogue en France s’est considérablement modernisé. Messageries cryptées, méthodes de distribution modernes, monnaies virtuelles… L’ingéniosité des dealers représente un défi constant pour les autorités, qui doivent elles aussi ajuster leurs méthodes.
Derrière la livraison à domicile, une banalisation de la consommation
Pour organiser leurs opérations et coordonner les livraisons en toute sécurité, les trafiquants font ainsi appel à des applications de messagerie cryptée telles que WhatsApp, Signal, Wickr, ou encore Sky ECC – démantelé en 2021. Ces applications offrent en effet des fonctionnalités de chiffrement de bout en bout, d’anonymat et de messages auto-détruits, rendant les communications difficiles à intercepter.
"Le livreur reçoit un message pour savoir à quel endroit il doit récupérer les livraisons de la journée. Il récupère alors le produit entre les mains d’un individu qui peut être inconnu de sa part et qui peut être cagoulé", explique à franceinfo le commissaire Guillaume Batigne, chef de la brigade des stupéfiants de la police judiciaire parisienne. "Ensuite il fait sa tournée avec des adresses qui lui sont communiquées par réseau crypté. Il livre les clients et récupère l’argent auprès d’eux, et une fois qu’il a terminé sa journée, soit il retourne à l’endroit de départ où il avait pris les stupéfiants, soit par messagerie reçoit l’endroit où il doit laisser le butin de sa tournée".
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Dans ces "call-center", les trafiquants usent souvent de tous les codes du marketing moderne : promotions, cartes de fidélité, goodies (cadeaux, Ndlr)… à Toulouse, la dernière innovation en date, comme le relatait La Dépêche du Midi en janvier dernier, se présente sous la forme d’un jeu à gratter, le "Hash d’or", qui permet à l’heureux gagnant de remporter… 10 grammes de cannabis.
Quand les femmes investissent les réseaux
Le profil des livreurs change lui aussi : si le business a longtemps été une affaire d’hommes, "on constate qu’il y a de plus en plus de jeunes femmes qui ont l’apparence de cadres", poursuit Guillaume Batigne. "Les réseaux utilisent de plus en plus ce genre de profils, des gens qui parfois ne sont pas du tout connus et qui trouvent là une opportunité de se faire de l’argent assez facilement". Longtemps cantonnées au rôle de "nourrices", certaines femmes prennent même une part de plus en plus active dans le trafic.
"Depuis cinq ou six ans, on constate un changement générationnel : les femmes entrent dans les réseaux en tant que petites mains", affirme auprès de la chaîne publique Eddy Sid, porte-parole du syndicat Unité SGP Police-FO Marseille. "Dans les quartiers nord, quelques-unes font office de 'chouf' (ces personnes chargées d’avertir de l’arrivée de la police, Ndlr). Sur le point de deal de La Paternelle, on a aussi vu des rabatteuses âgées de 14 ou 15 ans".
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Des services de lutte "sous-dimensionnés"
Pour lutter contre cette mutation du trafic, les autorités françaises ont également modernisé leurs méthodes. Elles utilisent par exemple des technologies de surveillance avancées, comme des logiciels d’analyse de données. Elles collaborent également avec des agences internationales pour démanteler les réseaux de trafic, comme l’affaire Sky ECC a pu l’illustrer.
Mais face à des narcotrafiquants dont les ressources sont illimitées, "les services de l’État sous sous-dimensionnés", alertait, le mois dernier, une commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic.
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