Tech&Co
Tech

Qui est ce mystérieux Français à la tête des deux sites pornos les plus visités du monde?

-

- - Pexels - BFMTV

Ses sites pornographiques génèrent plus de trafic dans le monde qu'Amazon et son business basé en République Tchèque atteindrait le demi-milliard de dollars. Qui est Stéphane Pacaud, ce Français homme invisible de l'industrie du porno?

Quels sont les sites internet qui génèrent le plus de trafic dans le monde? Si les leaders sont connus et généralement américains (Google, YouTube, Facebook pour le tiercé de tête) voire de plus en plus chinois (Baidu), lorsqu'on descend un peu dans le classement on trouve deux sites estampillés français. Et il ne s'agit pas du Bon Coin ou du portail d'Orange, les deux sites tricolores qui génèrent le plus de trafic en France. Non, il s'agit tout bonnement de deux sites pornographiques: XVideos et XNXX. 

Et ces sites génèrent des trafic colossaux. Selon le site SimilarWeb, XVideos a ainsi reçu pas moins de 3,2 milliards de visites rien que sur le mois de mai 2019, devant XNXX à plus de 2,5 milliards. A titre de comparaison, le géant Amazon.com n'avait reçu sur ce même mois "que" 2,5 milliards de visites. Ces sites sont donc respectivement les huitième et treizième sites les plus fréquentés au monde. Selon Alexa, un autre outil de mesure d'audience sur internet, XVideos et XNXX sont même les deux plus gros sites "adultes" de la planète.

Et ils appartiendrait donc à un Français, un certain Stéphane Pacaud. Mais ce Français-là ne fait pas vraiment la une de la presse économique. Au contraire, il tient à rester invisible. Vous ne trouverez pas de page LinkedIn à son nom, pas plus que de compte Twitter et encore moins d'interview de lui. "J'ai essayé d'entrer en contact avec lui mais il n'a jamais accepté, raconte ainsi Laureen Ortiz, auteure de Porn Valley, un livre sur l'industrie du porno. J'ai pu visiter les locaux de sa société à Prague et rencontrer ses équipes mais même eux m'ont dit: "Stéphane c'est comme la femme de Colombo, on en entend parler mais on ne le voit jamais"."

Classement sites web
Classement sites web © SimilarWeb

Comme le personnage de Keyser Söze dans le film Usual Suspect, son nom apparaît de temps à autre comme une rumeur sur des forums internet ou dans quelques articles de presse. Il figure par exemple dans une enquête de 2015 publiée par le magazine The Economist. L'article relate une petite anecdote qui en dit pourtant long sur le personnage. Au début des années 2010 alors que son empire commence à prendre de l'importance, son grand rival Mindgeek (propriétaire des fameux YouPorn et PornHub) aurait tenté de le racheter. Mais Stéphane Pacaud aurait alors "refusé une offre de 120 millions de dollars avec un signe de mépris", écrit The Economist. Le Français aurait répondu: "Je suis désolé, je dois jouer à Diablo II (NDLR. un jeu vidéo connu sur PC)."

Et son nom a de nouveau été évoqué il y a quelques mois à l'occasion de la vente du magazine américain Penthouse. Le titre était convoité par de nombreuses sociétés pornographiques mais c'est la compagnie WGCZ qui décroche la timbale pour un montant de 11 millions de dollars. Or WGCZ est le nom de la société de Stéphane Pacaud dont les locaux sont situés en République Tchèque. "Mais personne ne l'a jamais vu chez Penthouse non plus, assure Laureen Ortiz. Il a un bras droit canadien qui gère ses opérations et son business."

9 millions de dollars pour le domaine porno.com

Discret mais très actif, Stéphane Pacaud multiplie les rachats. En 2015, la presse hongkongaise fait état du rachat du nom de domaine Porno.com pour la somme de 8.888.888,88 dollars. Près de 9 millions de dollars payés en cash par une société basée en République Tchèque: WGCZ. Plus récemment, sa société aurait cassé sa tirelire pour s'offrir le réseau de sites pornographiques Bang Bros basé à Miami. "Il aurait payé plus de 100 millions de dollars pour ça", croit savoir un entrepreneur de l'industrie du porno qui suit Pacaud à la trace.

La holding WGCZ (acronyme de Web Group Czech) qui gère sa galaxie se situe dans une petite rue sans attrait de Prague à côté d'un restaurant KFC. Il s'y serait installé en 2012 avec l'enregistrement de sa société "audiovisuelle, éducative et culturelle" au registre du commerce praguois, selon Laureen Ortiz. Originaire de Saône-et-Loire, l'homme qui aurait 40 ans est décrit comme un féru d'informatique et amateur de jeu vidéo. A l'image d'ailleurs de son grand rival l'Allemand Fabian Thylmann, un temps propriétaire de l'empire MindGeek qui avait tenté de le racheter.

Une discrète plaque indique la présence de la société WGCZ dans une petite rue de Prague.
Une discrète plaque indique la présence de la société WGCZ dans une petite rue de Prague. © Google

C'est avec sa soeur -une certaine Déborah Malorie Pacaud- qu'il aurait créé ces sites dont l'audience a commencé à décoller au début des années 2010 dans la foulée des PornHub et autres YouPorn. Des sites qu'on appelle des tubes car à l'image de Youtube ils proposent du contenu pornographique gratuit (mêlant des vidéos amateur et des productions professionnelles piratées). En quelques années, ces sites ont révolutionné la consommation de films X en ligne en la rendant accessible au plus grand nombre, même aux mineurs. Lorsque vous vous rendez sur XVideos par exemple, on ne vous demande pas de vous inscrire ou de justifier de votre âge. A peine vous prévient-on que vous arrivez sur un site "adulte".

Porno
Porno © XVideos

Une pratique qui permet de générer des audiences colossales (ces tubes représentent 90% de l'audience des sites adultes de la planète) mais qui est illégale en France. "Moi si je fais ça, c'est trois ans de prison au titre de l'article 227.24 du code pénal", explique Gregory Dorcel, le patron du groupe français Dorcel qui ne propose que du contenu payant. Mais ces sites du fait de leur domiciliation dans des paradis fiscaux et qui ne sont pas directement reliés à leur maison-mère grâce à des montages de sociétés écran ne sont, dans les faits, que rarement inquiétés. 

Ces montages leur permettent de continuer à prospérer et à grossir à coups de rachats. Au niveau mondial, le business des tubes est estimé à environ 1,5 milliard de dollars par an. Et les trois plus gros acteurs réalisent à eux seuls 80% de ce chiffre: il s'agit de MindGeek domicilié au Canada (Pornhub, YouPorn...), le franco-tchèque WGCZ donc et le russe XHamster. Les deux premiers réalisent aux alentours de 500 millions de dollars de chiffre d'affaires annuel, le troisième près de 200 millions.

Des sortes de "Gafa du porno" qui ont commencé par pirater du contenu et à agréger toutes les images à caractère pornographique disponibles en ligne. Le tout mis gratuitement à disposition des internautes. "Ils ont siphonné l'audience des autres sites et ont causé la disparition de la moitié des acteurs indépendants ces sept dernières années", assure Gregory Dorcel. Ce qui les a contraint à se lancer eux-mêmes dans la production de contenu. A Prague, WGCZ dispose de studios où il produit ses propres scènes afin d'alimenter le site payant LegalPorno. Des vidéos qui se retrouvent rapidement sur les tubes du géant français.

Seulement 0,03% des utilisateurs paient

Car ces sites doivent proposer de plus en plus de contenus sous peine de voir leur audience se tarir. Certains sociétés de tubes ont même tenté de faire du chantage auprès de producteurs de films pornographiques. "Un site nous a écrit pour nous demander de leur envoyer des vidéos, explique l'un d'entre eux. Le deal c'était: "on vous envoie du trafic chez vous en mettant des bannières de pub et en échange vous nous donnez du contenu et 50% du business que vous allez générer avec." Nous avons refusé mais d'autres ont accepté."

Car même si ces tubes génèrent des audiences massives, leur modèle économique reste complexe car il ne peut être basé qu'à la marge sur la publicité. "Vous ne verrez jamais Danone faire de la pub sur XVideos, résume Gregory Dorcel. Ce sont d'autres tubes qui font l'essentiel de la pub sur les tubes." Seule solution pour faire entrer de l'argent dans le circuit: proposer du contenu payant aux utilisateurs, les faire migrer vers des vidéos plus longues, de meilleur qualité (en 4K) ou des séances dites de live cam où l'internaute est mis en contact avec une personne pour des jeux à caractère sexuel.

Tout l'enjeu de ces sites est donc de réussir à faire sortir leur carte bancaire aux visiteurs. Ce qui est très rare. "On estime que seulement 0,03% des utilisateurs de tubes finissent par payer", explique Gregory Dorcel. Ainsi sur les 3 milliards de visites de XVideos de mai, seules quelques centaines de milliers de personnes auraient payé pour du contenu. D'où l'intérêt de faire gonfler l'audience le plus possible. 

La Grande-Bretagne va protéger les mineurs

Mais la fête est peut-être bientôt finie pour les géants du porno sur internet. Après des années de laisser-faire, les Etats ont décidé de durcir la législation afin d'empêcher ces plateformes de proliférer. "Bientôt ils ne seront plus considérés comme des hébergeurs mais des éditeurs, la directive européenne qui le prévoit sera adoptée en France d'ici deux trois ans, explique Gregory Dorcel. Ils seront alors responsables de leur contenu." 

Mais c'est surtout à la protection des mineurs qu'ont décidé de s'attaquer les Etats. La Grande-Bretagne rendra ainsi obligatoire dès cet été la vérification de l'âge des visiteurs. Ces sites devront ainsi réclamer des documents d'identité, permis de conduire ou encore cartes de crédit, pour prouver leur majorité. Sous peine de voir le fournisseur d'accès internet empêcher ses clients d'y accéder. "Ces mesures risquent de faire fortement chuter l'audience de ces sites, ils vont devoir se réinventer", estime Gregory Dorcel. 

Du côté des "Gafa du porno", la course à la diversification est donc lancée. Et sur ce plan, le Français Stéphane Pacaud avec ses nombreux rachats récents (porno.com, Bang Bros ou le magazine Penthouse) semble être le mieux placé. Désormais pour lui, quand une opportunité se présente, il met son jeu vidéo sur pause...

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco